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Depuis Liège, où il est arrivé en 2003, sept ans après sa naissance au Congo, Bakari est de ces rappeurs qui se présentent sans masque, avec le naturel et la sincérité de ceux qui ont beaucoup de spleen en eux. Son parcours en atteste : après une expérience en groupe (Nü Pi) et un premier EP solo en 2018 (Kaléidoscope), le jeune homme, bientôt 27 ans, a pris le temps de bâtir son univers à travers une trilogie « très ancrée dans le bitume » : Sur écoute, reprenant les codes visuels de The Wire. Il s’agissait alors de rapper « le désespoir d’une communauté », d’assumer ses mauvais penchants et de mettre sa ville sur la carte du rap, revendiquant le fait d’être un enfant « du ciel gris, des briques rouges et de ce décor qui appelle à la mélancolie. »
Aujourd’hui, Bakari poursuit la même ambition avec Arcadia, un nouvel EP où celui qui se « sent comme le petit gars bizarre du fond de la classe » fait de son indépendance une force, une fierté. « J’ai découvert Albator à mon arrivée en Belgique, et j’ai toujours été fasciné par ce corsaire de l’espace qui explore l’univers en solitaire. D’où la référence au nom de son vaisseau dans le titre de mon projet. » Cette solitude, à peine perturbée par la présence de Mademoiselle Lou sur « Allo Maman », Bakari dit en avoir fait un atout, persuadé que ce rapport à la vie, cette mise en retrait du monde social et de ses conventions factices, lui permet de tout contrôler, de ne pas corrompre ses idées en les confiant à d’autres. « Il faut dire aussi que les humains me prennent trop d’énergie », lâche-t-il, l’air convaincu, sans pour autant renier le plaisir de se confronter de temps en temps à d’autres fines gâchettes du rap francophone (Isha, So La Lune).
Si Bakari témoigne d’une telle conviction, d’une telle confiance en soi, c’est aussi parce que le rappeur a gagné en maturité. « Il est grand temps de tuer l’enfant », chante-t-il sur « Le génie », comme un écho aux changements intimes opérés depuis la sortie fin 2021 du troisième volume de Sur écoute : « Je me défonce moins qu’avant, je me suis replongé dans le sport et je me suis ouvert à d’autres inspirations, d’autres activités. À présent, je mène une vraie vie d’adulte. Forcément, ça se ressent dans ma musique. »
Sur Arcadia, ce projet né lors de quelques séminaires et différentes sessions à domicile, Bakari a effectivement troqué ses vices contre un projet plus grand encore : la création. C’est qu’il en faut du talent, du lâcher-prise, du charisme et de la clarté d’esprit pour assumer ses failles sans jamais tomber dans le piège de l’artiste torturé. Ici, le Belge témoigne d’un vrai savoir-faire mélodique, riche en émotions, et incarne chacune de ses idées en fonction de ce que lui dicte la production. « L’écriture dépend systématiquement de la couleur de la mélodie, ce qui explique en partie pourquoi je chante davantage sur certains morceaux. »
D’« Arcadia » à « Free Thugga », certainement son titre le plus introspectif jusqu’à présent, le résultat impressionne. On sent que Bakari a pensé chaque strate de l’EP, qu’il a refusé de faire du chant un simple gimmick accrocheur, préférant y voir là une autre manière d’écrire du rap. Avec, toujours, cette volonté de se challenger, de ne rien masquer de ses obsessions personnelles et, surtout, ne pas « tricher avec l’art ».